Accord Union européenne – Royaume Uni i
24 décembre, juste avant le réveillon de Noël, les négociateurs ont raflé la mise, fifty-fifty. Match nul ?
Match plein de promesses ? Il y a ACCORD, ces longues heures, ces jours incertains, ces semaines
indécises s’achèvent enfin ! 1246 pages pourquoi ? Pour ne pas trop s’éloigner ou pour malheureusement
voir le Royaume Uni (RU) prendre le large (« Take the control back ») suffisamment pour plaire aux
Brexiteers ?
Tout d’abord, qu’est-ce que cela veut dire pour notre région ? Alors que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne le 31 janvier, notre voisin d’en face, de l’autre côté de la manche, dont on voit les falaises par beau-temps, bénéficie d’une période de transition jusqu’au 31 décembre minuit, après il quittera le marché intérieur et l’union douanière : il est toujours bien ancré dans l’Union européenne et surtout dans son juteux marché de 440 millions d’habitants, la moitié du commerce extérieur de la fière Albion ! D’où l’importance de conclure un deal !
Notre région s’est bien préparée avec le système de frontière intelligente qui a couté 47 millions € pour gérer un quart des échanges UE-RU, 13 millions € d’aménagements dans le port de Calais et notamment les stations pour gérer les contrôles sanitaires et vétérinaires. L’objectif est d’assurer la fluidité du trafic. Les enjeux sont énormes ! La frontière intelligente devra gérer le passage de 8 millions de véhicules par an, elle vise à automatiser et éviter tous les moments où un camion devrait normalement s’arrêter. Ce sera possible avec un lecteur de plaques minéralogiques qui établira un lien entre la chaîne logistique (ferry, tunnel) et les douanes. Les contrôles physiques, aléatoires ou basés sur les analyses à priori, seront limités au strict minimum.
La pêche, la question la plus difficile des négociations, qui nous a tenus en haleine jusqu’à la dernière heure : on sait ici dans le boulonnais ce que représente l’accès aux eaux britanniques ! il en va de la survie de nos marins-pêcheurs. La réponse : 25% de réduction étalée progressivement pendant une période de 5 ans et demi. Après, le Royaume-Uni reprendra le contrôle total de ses eaux, et pourra décider de couper beaucoup plus sévèrement l’accès des chalutiers européens. Si c’est le cas il y aura des contreparties, avec par exemple l’introduction de tarifs douaniers sur les importations en provenance du Royaume-Uni, ou en barrant l’accès des chalutiers britanniques dans les eaux européennes. Cela pourrait leur coûter l’accès au marché européen et ce ne serait donc pas dans l’intérêt du Royaume Uni. Quoi qu’il en soit, pour notre région des Hauts-de-France, il reste quelques années pour se préparer à une éventuelle nouvelle donne !
Mais dans quelques heures, à partir du premier janvier, branle-bas de combat ! Fini les importations et exportations sans contrôles ! La grande différence entre le Deal et le No Deal est qu’il n’y aura ni tarifs douaniers ni contingents, mais des contrôles il y aura ! On sera dans le Hard Brexit puisque Boris Johnson n’a voulu ni du marché intérieur et de ses quatre libertés (marchandises, services, personnes, capitaux) ni de l’Union douanière. Ainsi, ces contrôles seront nécessaires pour mettre un produit en libre circulation dans le marché intérieur de l’UE ! Pour respecter nos normes sanitaires, phytosanitaires, vétérinaires, celles relatives à la sécurité des produits (pour la sécurité des jouets, des produits chimiques, les standards techniques, …) ou accomplir les formalités pour la TVA.
Au-delà de l’aspect purement régional, que contient l’accord ? Difficile de répondre, le texte en anglais vient seulement d’être publié et il faudra du temps pour en appréhender les détails, mais il y aura des changements majeurs pour les citoyens et les entreprises. Voici les grands titres de cet Accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni :
– Le commerce libre, juste et soutenable qui couvre les marchandises sans droits de douane ni contingents, la coopération douanière et réglementaire, les services et les investissements, les questions digitales, la propriété intellectuelle, les marchés publics, des conditions de concurrence juste et équitable dans le respect de standards élevés en ce qui les normes environnementales, sociales, les droits des travailleurs, la transparence fiscale, et des principes en matière d’aides d’état afin de prévenir chaque partie d’accorder des subventions qui auraient un effet de distorsion sur les échanges ;
– La mobilité et autres aspects pour maximiser les opportunités couvrant le transport aérien et routier, l’énergie, la pêche et les ressources naturelles, la coordination de sécurité sociale, certains programmes thématiques ;
– Un partenariat pour la sécurité des citoyens basé sur la coopération policière en matière pénale et civile, la protection des droits fondamentaux, l’échange et la protection de données, l’anti- blanchiment ;
– Un accord horizontal sur la gouvernance qui met en place un Conseil du Partenariat, et contient les valeurs partagées et les éléments essentiels, des clauses de révision, et prévoit notamment, en cas de violation de l’accord, la possibilité de prendre des mesures de rétorsion croisées c’est-à-dire dans d’autres champs de l’accord.
En matière de services, l’accord obéit aux règles de l’OMC et accorde ainsi une ouverture substantielle pour les différents secteurs (exemple services juridiques, d’audit, architecture, telecoms, IT et digital, …) et les 4 modes de fourniture (1 – depuis le pays d’origine ex internet, 2 – service au consommateur présent dans le pays prestataire ex tourisme, 3 – via un établissement établi dans le pays où le service est rendu, 4 – par la présence temporaire du prestataire de service dans le pays où le service est rendu), mais il s’agit évidemment d’un recul majeur par rapport à la situation actuelle qui garantissait la totale liberté de fourniture de services. Concernant les services financiers, l’accord n’a pas fait d’avancées, mais des dérogations sont en place avant de pouvoir octroyer un ensemble d’équivalences, qui sont des décisions unilatérales et donc non sujettes à négociation.
Pour garantir la concurrence juste et loyale (« Level Playing Field »), des mesures efficaces de mise en œuvre et de règlement des différends sont prévues. Chaque Partie pourra prendre des mesures unilatérales pour prévenir toute subvention qui aurait un effet de concurrence déloyale, à réexaminer à la demande de l’autre partie par le tribunal arbitral pour analyser la proportionnalité de la mesure. Le règlement des différends repose sur un panel d’arbitrage indépendant. Et la possibilité d’introduire des tarifs douaniers pour tout écart en matière environnementale, des droits sociaux ou de la protection du climat a un effet dissuasif. D’autre part, les mécanismes de sauvegarde permettront de réintroduire des tarifs et/ou contingents. Enfin, des mesures de rétorsion croisées seront possibles (une mesure dans le secteur Y à la suite d’un non-respect de l’accord dans le secteur X). Le non-respect des éléments essentiels (protection du climat, respect des droits fondamentaux, des valeurs démocratiques, de la non-prolifération des armes de destruction massive) pourra entraîner la suspension ou la terminaison d’une partie ou de la totalité de l’accord.
Le Conseil va adopter une décision à l’unanimité des 27 Etats membres autorisant la signature et son application provisoire dès le 1er janvier. Le Parlement européen devra ensuite ratifier l’accord, ce qui est prévu dans les premières semaines de 2021.
Félicitations aux négociateurs européens ! à Michel Barnier et son équipe qui ont permis de garder
l’unité européenne des 27 malgré parfois des positions offensives et défensives différentes, et aux
Etats membres, dont la France, qui n’ont pas cédé et préservé les intérêts européens aux moments
les plus intenses.
Claude Maerten, ancien fonctionnaire européen, Vice-Président du Mouvement Européen Pas-de-Calais
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