Paru dans La Voix du nord du 30 octobre, édition d’Arras (version longue)
Propos de François Vié recueillis par Hubert Feret
L’Europe nuisible à la région ?
Cinq mensonges décryptés
A l’aube des Régionales, il est irrité d’entendre certain(s) candidat(e)s rabâcher des « contre-vérités » à propos d’une Europe qui serait à l’origine de tous les maux de la France en général, et du Nord-Pas-de-Calais en particulier. François Vié, président du Mouvement Européen Pas-de-Calais, basé à Arras, réplique à cinq de ce qu’il estime être « les plus gros mensonges » véhiculés par ces candidats.
1 – « L’Europe coûte trop cher! »
« C’est faux : Le budget de l’Union européenne (UE) est faible. Trop faible même: moins de 1% du PIB des pays membres alors que les dépenses publiques des Etats sont de 40 à 60 % de leur PIB. L’administration européenne (la Commission) a moins de salariés que la Ville de Paris : environ 32 000 contre 43 000. Et le Parlement européen est moins coûteux que le parlement français : 3€ par citoyen par an contre 5€ pour le Sénat 8€ pour l’Assemblée nationale en France.
En revanche, il est exact que la France paye plus qu’elle ne perçoit de l’UE : en 2013, elle a versé une contribution de 22 milliards d’euros et bénéficé en retour de 13,2 milliards d’euros. Mais c’est le prix de la solidarité entre les pays membres, pour avoir des politiques communes et aider les régions en retard de développement. Le Nord Pas-de-Calais – Picardie recevra d’ailleurs 1,15 milliards d’€ de subventions européennes de 2014 à 2020 au titre des politiques régionales (Programmes opérationnels FEDER-FSE) Et la France bénéficie d’autres formes de solidarité : les taux bas procurés par l’euro, avantages d’un marché de 500 millions d’Européens, synergies et effets d’échelles apportés par les politiques communes (recherche, transports, numérique…).
Le plus coûteux serait que l’Europe ne se réalise pas ! Selon Une étude réalisée par le Parlement européen et diffusée le 26 mars 2014 chiffre le « coût de la non-Europe » : la réalisation d’un marché unique numérique, d’une politique européenne en matière de défense, l’achèvement du marché unique, ou encore l’avènement d’une Union bancaire, permettraient de réaliser 800 milliards d’euros d’économie par an ! soit environ 6 % la richesses produite (PIB) actuelle de l’UE»
2 – « L’Europe n’est gérée que par des technocrates qui ne comprennent rien à notre quotidien et pondent des taxes et des lois qui ajoutent à nos problèmes ».
Faux, là encore : Il est erroné de dire que qu’il n’y a que des technocrates qui gèrent l’Europe, puisque ce sont des élus de chaque pays qui donnent les orientations politiques. Le Conseil européen, qui donne des orientations politiques à l’Europe, est composé de Chefs d’Etats élus ; la Commission, qui fait des propositions législatives et qui veille à leur mise en œuvre, est composée d’anciens premiers ministres, ministres et députés européens. Son président est élu par le Parlement, donc indirectement par les citoyens. Les lois européennes sont co-décidées par le Conseil des ministres, désignés par leur chef d’Etat et par le Parlement européen élu au suffrage universel. Seules échappent au contrôle parlementaire les décisions de politiques extérieures qui dépendent des Etats, ainsi que les décisions de la BCE, que les Etats ont voulu indépendante du pouvoir politique.
En fait, si les citoyens soupçonnent que les lois européennes sont inutiles, cela vient du fait qu’un grand nombre de textes techniques ont été nécessaires pour harmoniser le marché unique, certain commettant, il est vrai, des excès dans le détail des réglementations. C’est pourquoi le président de la Commission Jean-Claude Juncker veut se consacrer à l’essentiel : « une Union européenne plus grande et plus ambitieuse pour les grands enjeux, plus petite et plus modeste pour les petits dossiers ». Mais l’impact de la législation européenne sur les législations nationales est souvent exagéré. Le Royaume-Uni on a calculé que seules 21% des lois britanniques sont directement concernées par la mise en œuvre du droit européen.
Plus globalement les citoyens qui pensent que l’Europe est inutile, devraient se rendre compte que nombre de problèmes ne sont plus à l’échelle des Etats et que seuls l’Union européenne avec ses 500 millions d’habitants a la masse critique pour y faire face. Qui peut raisonnablement penser qu’un pays de 65 millions d’habitants, même avec une culture forte et une armée comme la France, peut agir seule pour réguler la finance internationale, le commerce mondial, les questions climatiques et environnementales, les ressources naturelles, les migrations, la sécurité internationale dans un monde de 7 milliards d’habitants ? Et c’est donc la même chose à l’échelle de la région…
3 – « La seule solution, c’est de sortir de l’Euro! »
Faux encore et toujours: L’euro nous procure des taux d’intérêts très bas et une stabilité de notre monnaie. Sortir de l’euro, c’est perdre la confiance des marchés financiers et voir bondir les taux d’intérêts auxquels empruntent les ménages, les entreprises… et l’Etat ! La perte de confiance dans la monnaie entraînerait une fuite des capitaux, une baisse des cours de la bourse, une diminution brutale des octrois de crédit aux particuliers et aux entreprises.
De plus la dévaluation du franc, volontaire ou involontaire, qui s’en suivrait, provoquerait mécaniquement une hausse du capital emprunté en euros. Le résultat en serait une hausse importante des intérêts de la dette et un déficit supplémentaire de l’Etat, et donc de nouvelles mesures d’austérité entraînant des coûts sociaux importants… Sans compter que les autres pays seraient dans la même situation, et nous retournerions aux « dévaluations compétitives » qui avaient lieu en Europe avant l’euro, extrêmement pénalisantes pour les entreprises.
4 – « Il faut non seulement fermer les frontières commerciales, et faire du protectionnisme pour sauver nos emplois, mais aussi fermer les frontières tout court, comme la crise des migrants le montre, car l’Europe est en danger. »
Faux et re-faux. Nos économies sont ouvertes et cette évolution est irréversible: quand nous vendons 100€ de marchandise à l’étranger, il nous faut pour les fabriquer, importer 40€ de produits. Il y a 20 ans c’était seulement 20€. Dans 20 ans ce sera 60€ ! 30% de la richesse nationale et de nos emplois (4 millions d’emplois selon l’INSEE auxquels il faut ajouter les emplois induits) sont liés à nos exportations. Pénaliser le commerce extérieur pénaliserait l’emploi. Avoir des files de poids lourds aux frontières en attente de contrôles serait de plus très couteux pour l’économie.
Concernant les migrations, il est illusoire de fermer les frontières à des personnes qui fuient la famine ou des dangers mortels, comme le montrent les risques qu’elles prennent pour venir jusqu’à nous. Ce serait en outre injustifié pour notre pays : la proportion d’immigrés en France est de 6 % et elle est stable. Depuis 1982, la part d’immigrés dans la population a augmenté seulement de 1,2 %, celle des étrangers a diminué de 0,5 % (source INED) Sachant que la France est peu attractive pour les immigrés économiques autant que pour les demandeurs d’asile, qui lorsqu’ils entrent en France, recherchent une autre terre d’accueil. Il n’y a qu’à interroger les réfugiés de la Jungle de Calais pour s’en persuader.
Il y a un devoir d’accueil des demandeurs d’asile, qui pose des problèmes pratiques administratifs, de logement et d’emploi, que notre pays a la capacité de résoudre, mais il n’y a pas d’immigration invasive en France. Sachant que des restrictions à l’immigration auraient comme premières conséquences de réduire l’économie touristique, de réduire le nombre d’étudiants étrangers et donc notre influence dans le monde, d’empêcher des regroupements familiaux humainement justifiés et de provoquer des mesures de rétorsions à l’étranger. Rappelons qu’il y a autant de travailleurs français travaillant à l’étranger que de travailleurs étrangers travaillant en France : 300 000, selon la Direction générale du travail (DGT)
Enfin, il n’a jamais été établi que l’immigration provoquait une hausse du chômage, ou de la criminalité. . C’est le contraire qui est observé (Thibault Gajdos, CNRS) Il est établi que les immigrés qui travaillent ne pèsent pas sur les comptes publics du pays d’accueil. Ils payent plus d’impôts et de charges sociales qu’ils ne coûtent (Etude sur le coût de l’immigration, Xavier Chojnicki, 2010)
5 – « A s’entêter à vouloir fonder une Europe fédérale, on va faire perdre leur identité aux pays membres de l’Europe »
Totalement faux : L’Union européenne est en partie fédérale, pour ses quelques compétences exclusives (euro, marché unique, commerce international) Elle est très loin d’être un Etat fédéral comme les Etats-Unis ou la Suisse. Il suffit pour s’en convaincre de comparer l’importance des dépenses fédérales 24 % du PIB pour les Etats-Unis, 1% pour l’UE. D’autre part le principe du fédéralisme est de ne donner comme compétences au pouvoir central, que ce qu’il peut mieux réaliser que les entités fédérées. C’est ce principe (la subsidiarité) qui est appliqué dans l’Union européenne.
Comme cela est explicite dans sa devise « Unis dans la diversité » l’Union européenne n’a jamais nié les particularismes nationaux ou régionaux. L’Union européenne a même institué l’association des régions aux processus de décisions au sein d’un Comité des régions. Elle consacre 1/3 de son budget à la politique régionale, adaptée aux caractéristiques sociales et économiques de chaque région. Ce sont les régions Nord Pas-de-Calais et Picardie qui sont « Autorités de gestion » et gèrent ces crédits (FEDRE).
C’est le conseil de l’Europe qui est à l’origine de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en cours d’adoption en France.
Le sentiment de menace sur nos identités vient principalement de la mondialisation et de ses effets, non maitrisés : impression d’une évolution non maîtrisée, généralisation de l’anglais, progression des productions culturelles anglo-américaines, produits de consommation d’origine asiatique, risque de captations de données personnelles des citoyens par les grands opérateurs sur internet. Or la raison d’être de l’Union européenne est précisément de défendre les valeurs et les intérêts collectifs des Européens face à une mondialisation économique qui ne fait que débuter.
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