La Voix du Nord le 13 mars 2016

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L’ancien dirigeant du Parti communiste et député européen sera lundi 14 mars à Arras pour donner une conférence sur le thème « L’Europe a-t-elle un avenir ? », à l’invitation du Mouvement européen du Pas-de-Calais. Entretien.

– Dans une région Nord – Pas-de-Calais – Picardie où l’ampleur du vote FN signifie notamment un rejet de l’Europe, quels arguments déployer pour convaincre ces électeurs du contraire ?

« N’oublions jamais que l’Union est une nécessité pour la paix et la sécurité sur notre continent. C’est toujours vrai aujourd’hui quand la guerre est à nos portes (au Moyen-Orient), et ici même (l’ennemi terroriste est à l’intérieur). Et prenons garde à ne pas faire de l’UE un bouc émissaire quand notre prospérité est menacée à cause de nos propres défaillances. Trente ans de désindustrialisation, d’échecs scolaires et de chômage massif : les responsables sont ici. D’autres pays européens font beaucoup mieux que nous : Allemagne, Suède, Pologne aussi, maintenant Espagne… Pour autant, est-ce que l’Union actuelle fait bien face à ces deux priorités, sécurité et prospérité ? Certainement pas, on le voit tous les jours. Mais il faut choisir : ou on en sort, ou on se bat pour la changer. Aucun pays européen ne veut la quitter ; seule la Grande-Bretagne s’interroge ; et la Grèce, le Portugal ou l’Irlande tiennent absolument à rester dans l’Euro. L’Allemagne est le seul leader politique dans l’Union parce que la France est incapable d’être plus présente. »

– Faute de disposer d’un vrai pouvoir politique, l’Europe, pourtant seule à pouvoir gérer le problème dans sa globalité, reste impuissante face à la gestion du drame des migrants. Vers quelle issue se dirige-t-on à votre avis ?

« Les vagues de migrations vont continuer, il y a donc besoin d’une stratégie. Le retour aux frontières nationales n’en est pas une. Coûteux et inutile, c’est une politique de gribouille dont se jouent les passeurs et qui n’empêche pas les réfugiés d’aller où ils veulent. Une solution susceptible de concilier l’impératif de solidarité et la sécurité collective, n’est possible qu’au niveau de l’UE : il faut sauver Schengen. Les propositions de la Commission sont judicieuses : une politique commune pour l’asile et pour le contrôle aux frontières extérieures, une répartition des réfugiés entre les pays membres, et une coopération avec les pays voisins (justement recherchée avec la Turquie). Il faudra créer un ministère européen pour l’immigration et la sécurité intérieure, avec un mandat décidé à la majorité qualifiée. N’oublions pas aussi le lien à créer entre la question des migrants et une politique extérieure. La guerre au Moyen-Orient, c’est une guerre de Trente ans ! L’Europe doit œuvrer à une paix durable dans un espace où des puissances rivales et des groupes locaux se livrent à des batailles sans merci. »

– Que nous inspire l’éventualité d’une sortie de l’Europe de la Grande-Bretagne ? Le Brexit anglais est-il annonciateur d’une mort annoncée de l’Europe ?

« On a besoin de la Grande-Bretagne dans l’UE. Sa sortie serait très négative pour elle comme pour nous, et un facteur majeur de décomposition. Aux Britanniques de décider, mais ne soyons pas dupes de nos réactions. Nous ne voulions pas des Polonais, nous serions heureux si les Anglais sortaient : décidément, les autres nous gênent ! Et caresser l’illusion d’un noyau dur avec l’Allemagne n’est pas sérieux. Nos politiques sont divergentes. Cela étant, Brexit ou pas Brexit, l’Europe d’hier ne tient plus. Le rêve des États-Unis d’Europe, c’est fini, aucun pays n’en veut. Et l’Union est déjà différenciée : zone euro, EU à 28, Schengen… Il faut en prendre acte et refonder l’UE sur des bases plus réalistes et plus solides. Nous devons décider d’établir des politiques communes dans les domaines prioritaires où elles font défaut (sécurité, action extérieure, économie) avec les pouvoirs et moyens nécessaires et sous contrôle démocratique. Et nous devons viser une Union politique différenciée en trois cercles, dont la composition reposera sur les choix effectués par les États membres : l’Eurozone (qui a impérativement besoin d’une politique économique) ; l’Union du grand marché et de la sécurité collective ; et le cercle des États voisins associés (avec qui nous devons développer des coopérations durables) comme la Russie et la Sud-Méditerranée. La Turquie quant à elle a une option pour entrer dans le deuxième cercle, et s’il y a Brexit, il faut proposer à la Grande-Bretagne un statut d’associé. »

Conférence

Lundi 14 mars, à l’office culturel, à 19 h. Philippe Herzoh dédicacera son nouveau livre, Valeurs et identité : quel combat ?, vibrant essai critique pour dénoncer des simulacres mais aussi répondre à des besoins de renaissance culturelle en Europe.

CV

Philippe Herzog est né en mars 1940 à Bruay-en-Artois. Ancien professeur des universités, ancien dirigeant du Parti communiste et ancien député européen, il est président d’honneur de l’association Confrontations Europe, et a occupé la position de conseiller spécial du commissaire européen au marché intérieur et aux services, Michel Barnier.

Ph H

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