Les avancées de l’Europe sociale depuis 2017

Contribution de Marguerite Deprez-Audebert, Vice-présidente du ME62 et ancienne députée Modem. Marguerite Déprez-Audebert a été co-raporteuse du rapport parlementaire sur le Socle européen des Droits Sociaux.

Un peu d’histoire  ou plus modestement une remise en perspective.

L’Europe, pendant des décennies s’est focalisée sur son marché unique, sa volonté de libérer l’économie et de satisfaire les consommateurs.

La compétence sociale n’était pas prioritaire dans son cahier des charges.

Certes il y eut la déclaration de Messine en 1955, peu suivie d’effets car pas assez de moyens ont été déployés .

Il y eut aussi le traité de Lisbonne, 40 ans plus tard en 1995,  faisant de la politique sociale une compétence partagée mais toujours conditionnée par l’économie.

Depuis, les avancées sociales étaient timides, ponctuelles, provenant d’initiatives d’un ou plusieurs états, sans véritables stratégie.

En tous cas elles n’étaient pas assez valorisées ; à titre d’exemple le fonds social européen, FSE, pourtant si utile et d’un intérêt majeur pour les états.

 

On assiste heureusement à un tournant en 2017,  avec le président Juncker qui avait pris conscience que l’Union européenne   pour  progresser devait avancer sur un autre pilier, le social ;  que tendre vers une convergence sociale était indispensable pour harmoniser la voix européenne.

 

Ce qui a donné lieu au « Socle européen des droits sociaux » voté au sommet de Göteborg.

Ce socle , que j’ai eu l’occasion de  présenter il y a quelques années , n’a pas de valeur juridique  contraignante, comme on dit dans le jargon administratif, mais c’est désormais un document qui a valeur de référence et que la présidente Ursula von der Leyen, qui a succède à M. Juncker,  s’est engagée à faire progresser.

Il repose sur 20 principes regroupés en trois chapitres :

– égalité des chances et accès au marché du travail

– conditions de travail équitables

– Protection et insertion sociales

Depuis 2017, la mise en œuvre de certains  principes du Socle ainsi que  les événements ( crise Covid) et le calendrier politique ( présidence par des états volontaristes) ont fait que cette Europe sociale, nécessaire à l’équilibre, et à l’adhésion des citoyens, partisans d’une Europe qui protège, a significativement progressé.

Il est apparu en effet que ces événements ont aggravé certains défis préexistants et en ont fait émerger de nouveaux, confirmant la nécessité du renforcement  d’une Europe sociale, comme réponse aux conséquences socio-économiques de ces crises.

Je n’oublie pas à ce stade que la prise en compte de l’environnement vient bousculer et s’ajouter aux défis

et que l’Union doit ,   dans ce domaine  également montrer l’exemple et que le Pacte vert doit être à la nature

ce que le social doit être aux citoyens.

 

Evoquons  la présidence française au premier semestre 2022 dont on peut être fier du bilan, car elle a joué tout son rôle dans un contexte historique inédit.

 

Certes, l’agression russe a quelque peu entravé

le programme, mais  l’Union a tenu son rôle dans un esprit d’unité ; les institutions ont été réactives et agiles et l’agenda législatif , pourtant très chargé a été globalement tenu.

 

Le dossier prioritaire  des salaires minimaux , qui figurait

en tant que point 2 du Socle,  a abouti à une directive,

entrée en vigueur en octobre 2022, qui permet  de favoriser des niveaux de salaire adéquats dans chaque pays et de renforcer la négociation collective dans toute l’Union.

Il s’agit d’un texte important, car il offre la garantie que le travail est rémunérateur. Il contribue à faire en sorte que tout travailleur européen puisse vivre dignement de son travail et participe à la réduction des inégalités salariales, notamment entre les hommes et les femmes.

L’enjeu est de garantir au sein de l’UE une plus grande convergence sociale vers le haut et de lutter contre le dumping social.

N’hésitons pas à ajouter que tout  dumping peut obérer les conditions de concurrence équitables et avoir des répercussions sur l’économie.

 

La directive « transparence des salaires »,

également au menu de la présidence française a été reprise par les présidence tchèque et suédoise ; elle a poursuivi son chemin politique et législatif  et   vient d’être approuvée dans sa version de compromis final.

Le principe d’égalité salariale existait pourtant à l’article 157 du TFUE

On sait qu’un écart de 13 % persiste actuellement

à travail égal entre les H et F, avec des écarts importants entre les Etats membres.

La situation n’avait pas beaucoup évolué depuis dix ans. (+0,6% par an).

 

Une directive visant un meilleur équilibre chez les salariés

 de l’encadrement a également été validée.

A date, 30% des CA   non exécutifs seulement sont des femmes

8,5% des CA exécutifs.

L’objectif est de parvenir à respectivement 40% et 33% dans tous les Etats avant 2025 .  C’est jouable ; 60% des diplômées universitaires de l’UE sont des femmes.

 

Qu’assure cette directive ?

-Une plus grande transparence

-Les travailleurs auront le droit d’obtenir des informations sur les rémunérations dans leur catégorie.

-Des sanctions dissuasives pour les entrepreneurs qui ne respectent pas les règles d’égalité salariale.

Les entreprises de l’UE avec au moins 100 salariés

( auparavant 250) devront publier des informations sur les salaires afin de mettre en évidence les écarts entre H et F.
La confidentialité des rémunérations sera interdite, bannissant les clauses contractuelles qui empêchaient les travailleurs de divulguer des infos sur leur salaire ou de demander des infos.

A été aussi approuvé le déplacement de la charge de la preuve à l’actif de l’entrepreneur et non plus du salarié.

C’est donc une directive moderne et inclusive , qui devra être  respectée à échéance 2026.

Travailleurs des plateformes :

L’amélioration de leurs conditions de travail  était un engagement de campagne du groupe Europe ensemble

lors des derniers élections de 2019.

Une initiative du Parlement   s’est transformée en directive approuvée largement en plénière le 2 février dernier après un vote préalable en Commission,  lui aussi largement majoritaire.

Un résultat a été obtenu et c’était loin d’être acquis car certains états n’y étaient pas favorables ( dont l’Allemagne ou la Suède , attachée aux négociations collectives)

Il est un exemple typique de la volonté partagée de trouver un chemin, un consensus dont nos parlementaires nationaux  devraient s’inspirer…….

Après moults modifications et deux présidences, le texte prévoit une présomption légale du salariat accompagnée d’une clarification du statut ; il devrait également permettre de lutter contre le « faux » travail indépendant et de protéger les travailleurs contre l’usage grandissant des algorithmes

( protection des données etc) et favoriser la négociation collective ;

L’étape actuelle est l’examen du texte en trilogue,  c’est-à-dire avec l’ensemble des trois institutions.

 

Deux autres textes sont actuellement à l’étude :

-une directive sur la violence à l’égard des femmes et la violence domestique :

Celle-ci comporte des dispositions visant à définir et lutter contre les infractions liées à l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants et à la criminalité informatique.

Egalement des mesures concernant la protection des victimes et l’accès à la justice.

Un chapître de la directive est consacré au soutien aux victimes et un autre aux mesures de prévention.

Enfin, une partie du texte insiste sur la nécessaire coordination et coopération de tous les acteurs concernés. Ne pas travailler en silo donc .

 

La dernière directive en examen  au parlement est une révision de celle de 2019, sur l’amiante au travail.

La finalité est d’abaisser les niveaux actuels d’exposition autorisés et que le comptage des fibres d’amiante se fasse à l’aide d’une méthode plus moderne.

Cette approche s’inscrit dans le cadre du plan européen pour vaincre le cancer. Il est suivi de très près par sa rapporteure, notre compatriote Véronique Trillet-Lenoir, médecin de formation.

 

Depuis le 1er janvier, la Suède est aux manettes de l’Union avec une volonté  affirmée de prendre des initiatives dans le champ social.

D’abord une recommandation sur les conditions favorables pour l’économie sociale, (ESS chez nous) visant à mettre en lumière les bonnes pratiques et leviers en sa faveur.

Ensuite, en matière de handicap, les travaux sur un projet pilote réunissant huit états membres devraient aboutir sur une proposition de carte européenne du handicap, qui s’appliquerait à tous les états membres

( 2è semestre 23)

 

Comme vous pouvez le constater :  l’Europe sociale avance désormais  au gré des semestres, chaque pays mettant, suivant un cadre bien précis,  le focus sur ses priorités, proposant ses avancées  propres à l’élargissement pour l’intérêt de tous, mettant plus que jamais en exergue la devise ‘ » unis dans la diversité » et prouvant que cette devise  sied parfaitement à notre Union.

L’Europe sociale  incarne vraiment  les valeurs humanistes qui font l’ADN de notre Union européenne. Elle la rendra plus forte pour l’aider à résister face aux deux blocs , l’américain à l’Ouest et celui de la Chine à l’est.

Et viendra épauler les politique commerciale et industrielle que le commissaire Thierry Breton s’emploie à mettre en place.

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